Superstitions et Sorciers - Folklore de Neuville-le-Chaudron lez Philippeville

Époque 1900 à 1918 

Texte original de Clément Dimanche. Les illustrations ne font pas partie du texte original.

Initialement publié dans le cahier n°46, août 2005,  d'Archéophil. Réproduction avec autorisation de Gephil asbl.



Sorcellerie

 

Echevinage de Neuville, farde causes Archives de l’État – Namur :

"d’un procès criminel en sorcellerie et charmerie intenté à Neuville en janvier 1597 par Mgr Henry d’Yve, seigneurie d’Yve et de Neuville, contre Paulette Wodrion ; aveux de la dite Paulette, faites sous la torture et questions rigoreuses, prouvent que Jean, son père, fut brulé vif à Philippeville environ deux à trois ans avant 1597 pour sorcelleries, charmeries et autres maléfices semblables. Entre 1600 et 1650, on compte 366 actions judiciaires dans le comté de Namur."

 

À Neuville, on y connaissait quelques sorciers et sorcières...

 

J’habitais avec mes parents près d’un ruisseau "asto du ri" ; en face de notre maison, vivait une sorcière nommée Célina. Celle-ci n’aimait pas mon père, menuisier, à cause du bruit de ses machines et de l’atelier. Or, j’ai récolté toutes les maladies et mes parents pensaient que Célina me "tenait".

 

Je tombais dans les convulsions (dernières à l’âge de 12 ans, à la mort de Célina). Ma mère allait à Roly avec moi pour prier St-Ghislain, patron des enfants ; ma grand’mère Victoire, ne sachant ni lire ni écrire, à fait le voyage, à pied, à Echternach pour obtenir ma guérison.

 

Puis, ce fut un eczéma aux mollets ; on fit le pélerinage à St-Méen au Bruly (ène voye), ma tante Eugénie et moi-même ; j’avais 8 ans...

 

On conseillait le voyage à Maredsous, mais mon père s’y opposait : "Avec notre chance habituelle, disait-il, on tombera sur un ‘Père’ qui n’y connaît rien et ce sera pis qu’avant !"

 

Et pourtant, Célina attirait toujours le gamin pour lui donner du sucre candi et l’enfant aimait bien Célina.

 

Évidemment, la mère veillait et elle le grondait si elle le voyait sortir de cette maison.

 

Parfois, la vieille Célina tombait dans sa remise, mais sa fille ne la relevait pas. En effet, Catherine craignait de devoir "reprendre" les "papiers" de sa mère. Elle accourait chez mon père, à l’atelier, qui allait relever la vieille femme. Mais il devait accepter de Catherine les 4 sous (2 pièces de 0,10) de paiement, car il faut payer l’aide accordée à un sorcier...

 

Une autre sorcière : Tine Djâques Nowé, une pauvre vieille, habitant seule dans une petite maison de 2 pièces au rez-de-chaussée.

 

La chambre était tapissée avec des "assignats" ! J’en ai sauvé quelques-uns ainsi que deux coupèzias, avant la démolition de cette maisonnette.

 

De la part de mon parrain-curé, je lui portais chaque dimanche un repas complet (2 petites marmites émaillées accrochées à une "cramyète", fer rond de 0,01 cm. Plié et terminé aux deux bouts par un crochet) et je bavardais avec elle.

 

On venait la trouver pour différents motifs ; elle connaissait aussi des remèdes et des prières pour des brûlures, les entorses et les maladies d’époque.

 

Elle demandait d’apporter des bouts de cierges de l’église. Elle aurait bien voulu les restes du cierge pascal, mais je n’ai jamais osé y toucher.

 

Avec la cire, elle confectionnait une espèce de bougie qu’elle allumait ; je devais m’agenouiller sur une vieille chaise, elle tournait autour de moi et me demandait de piquer des épingles dans la cire. Lorsqu’une de ces épingles tombait, elle ouvrait un livre tout noirci et elle marmottait des choses... Parfois, je remontais des épingles pour qu’elles tombent plus vite ! Alors, elle me donnait un bâton de réglisse et je pouvais aller jouer.

 

 

Un sorcier qui cultivait des "simples", faisait des remèdes.

Les gendarmes sont venus souvent parce qu’il  avait des plantes défendues par la loi ; il les arrachait mais les repiquait dans son "jardin secret", comme il disait.

 

Mon père était cardiaque et se plaignait de fortes douleurs dans le bras gauche. Comme ce sorcier était chaque soir à l’atelier et que mon père s’était confié à lui : "je voudrais mourir, j’ai trop mal", il reçut cette réponse : "si tu veux mourir, dis-le, je ferai une petite croix sur le bras avec mon canif, j’y laisserai tomber une goutte de suc de ma plante, tu t’endormiras pour ne plus te réveiller"...

 

Ces sorciers populaires avaient des pouvoirs particuliers : les uns pour le bien, les autres pour le mal.

 

Ceux qui étaient nés un vendredi pouvaient être "sourciers".

 

Pour éviter le mauvais sort, il est d’usage, lorsqu’on parle de sorcellerie ou de sorciers, de dire à haute voix le jour qu’on est : "tiens, on est jeudi aujourd’hui"... 

 

J’ai connu un brave vieux qu’on appelait "l’mau tuwé" (Louis Menjot). Il venait aussi au boutique et nous a conté son aventure : un soir, un habitant de Morville, son village, alla trouver le sorcier pour son bétail. Le sorcier lui assura que la personne qu’il rencontrerait en s’en retournant chez lui, était la "responsable" de sa malchance.

 

Le plaignant sortit mais décrocha, en passant, une houe pendue au pignon de la maison du sorcier... Malheureusement, ce fut notre Louis que l’homme rencontra... Louis fut blessé sérieusement du coup qu’il réçut sur la tête... Il lui fallut bien des mois pour se guérir !

 

Après la mort du sorcier, Louis reçut la visite de son "tueur" qui venait s’excuser et raconter l’authenticité du récit !

 

Je connais une "guérisseuse" qui ne veut que le bien de son prochain. Elle fait des neuvaines et demande qu’on prie avec elle.

 

Elle enseignait et j’ai été témoin du fait suivant : un jour de neige, les enfants rentrent en classe en se bousculant ; l’un d’eux vint se coller le visage contre le pot (tout rouge) du gros poêle. Elle le guérit du "secret" ; il ne porta aucune marque de cet accident.

 

Dernièrement, je souffrais d’une foulure au pouce ; j’ai été la trouver et elle m’enleva toute douleur. Elle guérit aussi les entorses.

 

J’ai connu en 1965, dans une ferme isolée près de Jamiolle, un cas très curieux pour notre époque : j’allais accorder un piano et je vis, en entrant, une jeune femme assise au coin du feu et portant un gros châle sur le dos. Je demandai si elle était malade... La mère répondit : le docteur est venu mais, moi, je sais de quoi elle souffre. Je n’insistai pas ; une heure après, la mère m’appela et m’offrit une tasse de café. Elle crut bon de m’expliquer : la jeune femme portait, chaque semaine, le beurre de la fermette à la gare de Châtelineau où elle rencontrait sa marchande. Or, une vieille femme venait bavarder avec elle et lui présentait un bonbon qu’elle refusait comme sa mère lui avait ordonné. Et la maman de conclure : malgré ma défense, elle accepta néanmoins le "bonbon" et maintenant, la sorcière la "tient".

 

Je parlai de Maredsous, mais la mère répondit qu’ils avaient été reçus "pau mwais Père" et que, depuis, le mal empirait !

 

Il existait à Neuville un "malin" qu’on consultait quand le beurre ne "venait" pas dans les fermes. Notre homme voulait être seul pour l’opération... mais un jour, un plus malin se cacha dans la laiterie... et... vit que l’homme "pissait" tout simplement dans la barrate. On raconta la chose... l’homme perdit sa clientèle... et nos fermières eurent l’idée d’ajouter un peu d’eau chaude... Le résultat fut très bon.

 

Il existe à Neuville des "navetières" sur les "sèprès". Ce sont des terres schisteuses et froides qu’on distribue à la maison communale. Chaque ménage peut avoir sa part (env. 4 ares) pour y planter des pommes de terre ou pour y semer de l’herbe qu’on ira faucher pour le "rafourage" des bêtes à l’étable. On tirait aussi des "portions" des bois communaux qui ont été bien utiles, pendant la guerre de 1914-1918, aux habitants du village.

Ce fut l’occasion de remettre en ordre les haches, les "courbets" petits et grands, de construire des "tch’faus d’bos" pour faire des fagots et d’aller "tayi s’pôtion".

 

Encore maintenant, les curés sont souvent appelés pour bénir maisons, étables et écuries ; pour dire prières contre les souris et les rats. La croyance est toujours vivante, elle est humaine, c’est un besoin de sécurité.

 

Les vieux prétendent que les "ronds de sorcières" dans les champs (herbes de couleur plus foncée) font pousser des champignons... Ces ronds indiquent l’endroit où se réunissaient les sorcières le jour du "sabbat".

 

Ils disent que lorsque le prêtre se retourne à l’autel pour l’Orémus, il peut connaître les sorcières se trouvant dans l’église. Il courbe la tête pour ne pas les voir mais, si un sorcier ou une sorcière vient de mourir, le Curé doit les remplacer lors du baptême d’un enfant du même sexe et ce, par des prières spéciales...

 

Certains joncs sont appelés "ramons" (balais) de sorcières. Certains chardons sont appelés "peignes".

 

La pièce de débarras dans une maison s’appelle le "lari". C’est un endroit réservé à la famille où l’on y vénérait jadis les "dieux laresé", protecteurs du foyer. On entend encore cette phrase : "vos n’alèz nin mouchi dins no lari, èn’ don ?".

 

Fin de la quatrième partie