Le fabuleux destin du Château de Fagnolle de 1900 à nos jours.
1. Introduction
Fagnolle – Borné au nord par Roly, à l'est par les Matagnes, au sud par Dourbes, et à l'ouest par Mariembourg, ce petit village fait
partie de Philippeville dès la fusion des communes de 1977. Fagnolle a reçu le label des "Plus Beaux Villages de Wallonie", une ASBL créée en 1994 pour stimuler le tourisme et par conséquent
l’économie locale.
Sans doute que ‘l’ancien château’, comme disent les Fagnollis, fut un argument déterminant pour désigner Fagnolle comme un des plus
beaux villages de la Wallonie. En fait il ne reste que des ruines de ce château datant de la fin du XIIème siècle. Tout d’abord le château féodal a été démantelé partiellement en 1554 par
Guillaume le Taciturne, sur ordre de Charles Quint, pour contrarier les Français. Ce n’est qu’en 1659 que le château fut abandonné définitivement.
Si les troupes de Charles Quint furent responsables de la destruction d’une grande partie du château de Fagnolle, le temps rude des
siècles suivants a complété le travail à fond. Aujourd’hui, il n’existe que des vieilles pierres pour témoigner d’une grandeur d’antan.
"Au château de Fagnolle vécurent jadis de nobles seigneurs qui, après les périodes troublées, organisèrent des festins ; (...) il
y eut des luttes, des combats, des massacres, du sang répandu des dévastations. Puis vinrent le silence et l’oubli. Le silence a remplacé le bruit des lourdes cuirasses, des cottes de mailles et
du cliquetis des armes." (1)
Á partir du XXème siècle tout changeait : fini le silence et l’oubli, le château, bien qu’en ruine, va à nouveau connaître une vie surprenante.
Dans : Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, I p. 71 : Croquis imaginaire au XVI° siècle.
2. Le prince Ernest de Ligne
Le prince Ernest de Ligne (1857-1937) – Copyright : domaine public.
Au début du XXème siècle le château ou plutôt ses ruines, appartenaient au prince Ernest de Ligne, chef d’une ancienne famille de la
noblesse belge. Les de Lignes font partie du petit cercle des nobles qui peuvent tutoyer le roi. En 1923 le prince Ernest de Ligne, entre autres titré de prince du Saint-Empire, chevalier de la
Toison d’Or et de l’Ordre des Saints-Maurice-et-Lazare et Grand d’Espagne, recevait du roi Albert I en plus le titre de prince d'Amblise et d'Épinoy et le droit de se faire appeler ‘son
Altesse’.
Évidemment que le prince n’habitait pas dans les ruines, envahi par des ronces comme dans le conte de la Belle au bois dormant. Il se contentait de résider au château de Beloeil, situé dans le Hainaut. Les ruines furent désertées et presque inaccessibles. Il n’y avait que le cellier du Tour Nord qui "accueillait les vaches qui broutaient l’herbe de la lice et des douves comblées en les abritant l’été lorsque elles cherchaient la fraîcheur". (2) À cause des douves comblées par le temps des siècles passés, "le pourtour du château était dès septembre-octobre envahit par l’eau et restait inondé durant quatre à cinq mois." (3)
Néanmoins, les ruines et leur localisation superbe inspiraient les romantiques. Certaines familles fortunées en profitaient pour se faire photographier pendant des fêtes de mariage ou des pique-niques à la mode.
Fin 1800 au château - Carte Postale
Le château vers 1903 – Carte postale
3. Le Cochon
Pendant la guerre de 1914-1918 il n’y avait pas le temps, ni les moyens d’organiser des pique-niques. La guerre fut très dure pour les
Fagnollis, comme pour tous les habitants des villages avoisinants. Jusqu’à aujourd’hui on raconte des histoires sur les atrocités allemandes, mais –heureusement- il existe aussi des anecdotes
moins affreuses, voire plutôt amusantes, comme celle du cochon volé.
Pendant la Deuxième guerre un Fagnolli "criait de tous les toits qu’’i f’jeut in pourcia’ et qu’’i profiteut bén’ "(4). Un jour il s’exclama dans un estaminet : "No pourcia est d’vènu bia èt fin gros ! On l’tuwe jeudi". Évidemment que tous les clients de l’estaminet
l’avaient entendu. Parmi eux quelques jeunes gens, "tenaillés par la faim, jour après jour" (5). Ils décidèrent de voler le cochon et de voler en même temps
les draps de lit et un tonneau qui recueillait la pluie d’une femme du village.
Pour les Fagnollis c’était le mystère. Cochon, draps et tonneau disparu en même temps !
Le propriétaire du cochon fut furieux, il fit même l’appel aux Allemands de la Kommandantur de Mariembourg qui venaient avec leurs
chiens, mais les traces s’arrêtaient (heureusement) au pied du lavoir du village. Le propriétaire priait ensuite à Saint-Antoine, aussi sans aucun résultat. Le mystère restait.
Ce qui se passait : les jeunes avaient tué le cochon dans le lavoir, afin de faire disparaître toute trace de sang, car le
courant de l’eau y était rapide. Le tonneau fut habillé intérieurement à l’aide des draps de lit pour servir de saloir. Ils avaient donc salé le cochon dans le tonneau, qu’ils portaient vers les
caves du château.
Ainsi, de temps en temps on pouvait remarquer des volutes de fumée qui s’élevaient des ruines. Les jeunes gens "fricassaient et
cuisaient le lard sur place, dans les caves du château, de sorte que l’odeur du lard grésillant ne risquait pas de les trahir" (6). Pour y aller les jeunes
changeaient fréquemment d’itinéraire et pour revenir ils emportaient quelques perches de bois sur l’épaule.
Le mystère ne fut qu’éclairci après la guerre et les Fagnollis en riaient, et en chantaient. Voici une pasquinade (une satire bouffonne et triviale) qui restait très populaire pendant des années et que tous les Fagnollis connaissaient de cœur. Il semble que les personnages qui figuraient dans cette pasquinade furent les mêmes jeunes gens qui volaient le cochon, les draps de lit et le tonneau.
Qué novèle
Di-st-èle Gabrielle?
Drole d'afère au pays
Di-sti l' Titi
On a volè no pourcia
Di-st-èle Emilia
C'èst bén fét
Di-st-i l'Aradjè
On aveut sèrè l'uch à clé
Di-st-i Lisé
Il a passè pau trau
Di-st-i l' marchaud
On-a mén fét ça aveu in baston
Di-st-i Mommon
Is s' sont bén r'lètchi
Di-st-i l' Tchaurlî
On-a ieû pou tèrtous
Di-st-i l' Zouzou
On-a rén d'meurè
Di-st-i l' Crolè
Yèt pou lès boudins
Di-st-i Valentin ?
On 'nna nén vu l'couleûr
Di-st-i Pouleur
I n'a nén passè l'èstacion
Di-st-i l' Blanc du lèyon
Il aveut du bia lard
Di-st-i l' Douward
Deûs deugts d'èspès
Di-st-i Manèt
Il l'ont fét cûre à l'payèle
Di-st-èle Angèle
Qué bind dè losse
Di-st-i l' Gosse
Insi soit-il
Di-st-èle Pétronille
Quelle nouvelle
Lui dit Gabrielle ?
Drôle d'affaire au pays
Lui dit Titi
On a volé notre cochon
Lui dit Emilia
C'est bien fait
Lui dit l'Enragé
On avait fermé la porte à clé
Lui dit Lisé
Il a passé par le trou
Lui dit le maréchal
On n'a pas fait ça avec un bâton
Lui dit Monon
Ils se sont bien relèché
Lui dit le charretier
Il y en a eu pour tous
Lui dit Zouzou
Il n'est rien resté
Lui dit le crolé
Et pour les boudins
Lui dit Valentin
On n'a pas vu la couleur
Lui dit Pouleur
Il y avait du beau lard
Lui dit Douward
Deux doigts d'épaisseur
Lui dit Manèt
Il l'on fait cuire à la poêle
Lui dit Angèle
Quelle bande de sots
Lui dit Gosse
Ainsi soit-t-il
Dit-t-elle Pétronille
Chanson - dans : Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II p. 84 & 85. - Traduction : Raoul.
Extrait de : Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II p. 88.
(1) E. Close dans : Le Guetteur wallon, janvier 1930, p. 188
(2) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, III p. 14
(3) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, VII p. 91
(4) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II p. 83
(5) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II p. 83
(6) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II p. 87
Texte : AvB - Correction : Valérie