(Article 14 janvier 2016)
- 6 avril
1942 : Chute d’un avion anglais tout près de chez nous.
(Article 2 décembre 2015)
Seconde Guerre mondiale : le pilote américain William Charles Schiefen tué à Philippeville le 1er septembre 1944
Introduction
Rochester, New York.
Rochester est la capitale du Comté de Monroe dans l’État de New York. Le peuple amérindien les Sénécas y habitait. Pendant la guerre
d’indépendance américaine (1775-1783) les Sénécas étaient des alliés aux Britanniques. Mais en 1783, Londres a dû reconnaître l’indépendance des États-Unis. Les Sénécas perdaient alors leur
territoire, beaucoup furent déportés au Canada par les Anglais.
En 1803 Rochesterville fut fondé entre autres par le Colonel Nathaniel Rochester. Il n’y avait que 15 habitants à cette époque. En 1821 Rochesterville devenait la capitale du Comté de Monroe. Il y avait alors déjà 2.500 habitants.
En 1838, Rochesterville, entre-temps devenu Rochester tout court, était la plus grande ville productrice de farine aux États-Unis.
Après avoir doublé sa population en seulement 10 ans, Rochester deviendrait la première "ville-boom" des États-Unis.
À la fin du XIXe siècle, l’anarchiste Emma Goldman (1869-1940) a vécu et travaillé à Rochester pendant plusieurs années, où elle a défendu la cause du travail forcé dans les ateliers de misère de Rochester. Rochester a également été le théâtre de troubles importants lors des manifestations syndicales, raciales et anti-guerre.
Y vivait également, la dirigeante nationale du suffrage féminin, Susan B. Anthony (1820-1906). Le dix-neuvième amendement à la
Constitution des États-Unis, qui garantissait le droit de vote des femmes en 1920, était connu sous le nom d'amendement Susan B. Anthony compte tenu de son action en vue de son adoption, à
laquelle elle n’a malheureusement pas assisté. La maison d'Anthony est un monument historique national, connu sous le nom de musée et maison national Susan B. Anthony.
Après la guerre de Sécession (1861-1865), Rochester connut une expansion de nouvelles industries à la fin du XIXe siècle, fondées par
des migrants dans la ville, notamment l'inventeur et entrepreneur George Eastman (1854-1932), fondateur de Eastman Kodak. Non seulement a-t-il créé de nouvelles industries, mais Eastman est
devenu un philanthrope majeur, développant et dotant l'Université de Rochester, son Eastman School of Music et d'autres institutions locales.
Aujourd’hui plus de 200.000 personnes habitent à Rochester, la troisième ville la plus peuplée de l’État de New York. (1)
William
Le 14 juillet 1922, Rochester, alors presque 300.000 habitants, a vu la naissance de William Charles Schiefen. Son père était John Edgar Schiefen, immigré allemand, sa mère Alice Alford. Une bonne année plus tard son frère John E. Schiefen naissait.
William a étudié à l’Aquinas Institute et a été diplômé en 1941 à l’Edison Technical High School. Il fut alors employé au Eastman
Kodak Company Camera Works. Il se marie avec Mary Lou, originaire de Phoenix, Arizona. (2)
Entre-temps la seconde guerre mondiale éclatait en septembre 1939. Au début les Américains restaient neutres (la politique isolationniste), jusqu’à l’attaque-surprise sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941, date à laquelle le président Roosevelt déclarait la guerre et se rangeait aux cotés des Alliés.
A l’aube de l’année 1942, l’Europe est quasiment allemande et le Japon règne sur un empire maritime gigantesque. Mais en quelques mois, la situation va complètement changer.
Chez les Alliés, et surtout en Amérique, une véritable économie de guerre se met en place afin de satisfaire les besoins des armées.
L’Allemagne met, elle aussi, son économie au service de la guerre mais elle n’arrive pas à concurrencer les Etats-Unis qui, à eux seuls, fabriquent plus que toutes les dictatures réunies.
Les Alliés prennent également l’habitude de se rencontrer afin d’accorder leur stratégie. Le haut commandement des forces alliées sur le front de l’Ouest est confié au général Dwight D. Eisenhower, qui plus tard deviendrait président des États-Unis (1953-1961).
Par ailleurs, les troupes nazies devaient combattre sur plusieurs fronts et surveiller de longues frontières. Les territoires conquis
devenaient donc difficilement tenables face à la pression des Alliés. (3)
En août 1942 William fut enrôlé dans l’armée comme cadet de l’aviation et appelé au service actif le 1er mars 1943. Le 7 janvier 1944
il recevait ses ailes de pilotes et fut nommé second lieutenant, avec comme insigne un galon doré. (4)
Temps pour l’action
William C. Schiefen faisait alors parti du 370th Fighter Group, constitué par le 401st Fighter Squadron, fondé le 25 mai 1943 et actif le 1 juillet de la même année, à partir du Westover Field dans le l’État de Massachusetts. Aujourd’hui l’aéroport est connu sous le nom de Westover Air Force Base, une base de l'Air Force Reserve Command.
L’insigne du 401st Fighter Squadron lequel constituait le 370th Fighter Group
Ensuite, en octobre 1943 le Group déménageait au Groton Army Airfield dans l’État du Connecticut. Aujourd’hui cette base aérienne est connue comme le Groton New London Airport.
Finalement, le 5 janvier 1944, avant de partir pour l’Angleterre Schiefen et le 370th Fighter Group s’installaient à Bradley Field,
aujourd’hui Bradley International Airport, également situé dans l’État de Connecticut.
Le Group s’entrainait avec des Republic P-47 Thunderbolt, l'un des principaux chasseurs américains de la Seconde Guerre mondiale, et
l'un des avions les plus produits de tous les temps avec plus de 15 000 exemplaires construits.
Republic P-47 Thunderbolt - P = pursuit (poursuite) (Photo : public
domain)
En janvier-février 1944 Schiefen arrivait avec le 370th Fighter Group à l’aéroport d’Aldermaston, situé dans le sud-est de l’Angleterre. Le 370th Fighter Group fut assigné au 9th Army Air Force, et s’entraînait alors avec des Lockheed P-38 Lightning, avions mis en service en 1941. C’était un des meilleurs chasseurs américains. Il n’y avait place que pour un pilote. L’avion fut utilisé pendant le conflit mondial pour la chasse, l'escorte à longue distance de bombardiers, l'attaque au sol et la photographie aérienne. Une version est développée pour la chasse de nuit. C'était à bord d'un P-38 que le 31 juillet 1944 disparaissait l'écrivain français Antoine de Saint-Exupéry.
Fin février Schiefen et son Group étaient stationnés à l’aérodrome d’Andover, une ville du Hampshire. Ce sera la base pour attaquer les Allemands en France.
Un P-38 Lightning à l’aéroport d’Andover, Angleterre (Photo: Roger Freeman Collection, American Air Museum in Britain : www.americanairmuseum.com)
En cette année 1944 presque un demi-million de soldats du United States Army Air Forces (USAAF) se trouvaient en Angleterre étalés sur 200 aéroports.
Lockheed P-38 Lightning
(domaine public)
Le 8 février 1944, le plan pour l'invasion de la France, l'opération Overlord, est confirmé.
Le 1er Mai 1944 le 370th Fighter Group entrait en combat. La mission du second Lieutenant William C. Schiefen et de son 370th Fighter Group était alors de préparer l’invasion. Avec son Lockheed P-38 Lightning, immatriculé 43-28408, il bombardait en France des installations radar allemande, des batteries antiaériennes statiques, connus comme des Flak (Fliegerabwehrkanone), des ponts, des gares ferroviaires et des chemins de fer.
Jusqu’à la fin du mois de mai le 370th Fighter Group effectuait des missions de reconnaissance au-dessus du Cotentin, une péninsule française correspondant globalement aux limites de l'ancien pays normand. La mission (comme dit) : préparer l’opération Overlord.
L’opération Overlord débutait le mardi 6 juin 1944 — appelé Jour J — par le parachutage des premiers combattants à l'intérieur des terres, puis le débarquement d'importantes forces d'infanterie sur les plages de l'ouest du Calvados et de l'est du Cotentin.
Le 370th Fighter Group partait ensuite en France pour s’installer le 24 juillet 1944 à Cardonville, située dans le département du Calvados en région Normandie. À partir d’ici il soutenait les troupes alliées au sol qui chassaient les Allemands à travers la France et en Allemagne. Après, le 15 août 1944 le Group partait pour s’installer à la Vieille Airfield, situé sur la commune de Saint Georges d’Elle en Normandie. (5)
Un avion P-38 Lightning décolle à Cardonville. (Photo : Roger Freeman Collection, American Air Museum in Britain : www.americanairmuseum.com)
Avec ses copains Schiefen frappait des emplacements d’armes, des troupes allemandes et des chars de combat près de Saint-Lô, commune française, située dans le département de la Manche et la région Normandie, et dans la région de la poche de Falaise (Falaise Argentan), également en Normandie. La poche de Falaise fut le théâtre de la dernière opération de la bataille de Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette opération se déroula du 12 au 21 août 1944.
Le premier septembre 1944 Schiefen (6) s’envolait avec le 401st Fighter Squadron (donc le 370th Fighter Group) à partir de La Vieille Airfield pour la Belgique. La destination était Bruxelles pour préparer la libération de Bruxelles et la Belgique (Bruxelles fut libéré le 3 septembre 1944 et Philippeville le 4 septembre) par les forces terrestres alliés, lesquelles se trouvaient déjà près de la frontière de la Belgique.
La méthode ou la mission : ‘strafing’, c’est-à-dire mitrailler et bombarder au sol à faible altitude pour attaquer des cibles allemandes (camions, chars, ...). Les avions P-38 Lightning étaient armés d’ 1 canon et de 4 mitrailleuses (interne) ; et 2 bombes ou 10 roquettes ou 1 torpille (externe). (7)
Le mot ‘strafing’ est une adaptation de l'allemand strafen, à punir, en particulier de l'adaptation humoristique (ou mieux :
macabre) du slogan allemand de la Première Guerre mondiale, "Gott strafe England" (Que Dieu punisse l'Angleterre).
La route La Vieille Airfield vers Bruxelles passe par notre région.
C’est alors que le destin frappe.
Le drame
Tous les pilotes ne rentraient pas à La Vieille Airfield :
Document officiel (Source : https://www.fold3.com/document/28668863/)
Traduction :
"Le 1er septembre 1944, je volais comme ‘the element position’ de ‘White Flight’.
J’étais à 700 pieds (= 213,36 m.), ayant juste terminé un passage sur quelques camions. J'ai regardé par-dessus mon aile droite et j'ai vu mon ailier Lt. Schiefen descendre jusqu’au sommet des arbres. L'avion était anormalement sur l'aile gauche dans une position presque verticale, et de cette position il est passé à un angle de 45 degrés avec l'aile droite vers le bas. L'avion s'est ensuite stabilisé momentanément et semblait vibrer en décrochage à grande vitesse vers le sol.
Je crois que le pilote avait le contrôle partiel de l'avion bien que la manœuvre fût violente. Aucune flak n'était vue dans la zone.
Je n'ai observé aucun dégât de fumée, incendie ou autre dommage jusqu'à ce qu'il s’écrase et s’enflamme.
Cela s'est produit à 16h30 environ 6 miles à l'est de Beaumont.
Virgil D. Wirt
1er Lieutenant Corps Aérien,
Element Leader."
Quelques explications :
Element
La formation ‘Element’ était une formation triangulaire de trois avions et constituait l'unité de base de toutes les formations. Le
‘Element Leader’ était responsable du maintien de la position en tout temps. Un avion volait à droite et un à gauche. Ceux qui occupaient les positions de gauche et de droite étaient tenus de
rester en formation serrée à tout moment, aussi lors du bombardement ou du mitraillage.
Schiefen volait donc à droite de l’Element Leader Wirt, qui volait en front.
White Flight
Si plusieurs vols étaient effectués simultanément à partir du même aéroport, ils avaient souvent reçu des codes de couleur afin de les distinguer lors des communications par radio. Donc, ‘White Flight’ est l’un des vols en vol simultanés à partir du même aéroport. Dans ce cas, les indicatifs d’appel des pilotes étaient ‘White Flight Leader’ ou ‘White Flight one’, ‘White Flight two’ et ‘White Flight three’.
Le 1er Lieutenant Virgil D. Wirt dans son P-38 Lightning à Andover, Angleterre. (Photo : Roger Freeman Collection, American Air Museum in Britain : www.americanairmuseum.com)
Schiefen avait 22 ans quand son Lockheed P-38 Lightning, immatriculé 43-28408 s’est écrasé sur une étable de campagne, située derrière une
fromagerie-beurrerie (8), qui se trouvait à la route pour Florennes (Rue de Namur - N97) à Philippeville, environ 1 km. est-nord-est du centre, et non à 6 miles (presque 10 km) de Beaumont comme estimait
le premier lieutenant Wirt. Schiefen fut mortellement blessé et n’y survivrait pas.
Contrairement à ce que prétendent certaines sources, l’avion de Schiefen n’aurait donc pas été abattu par les batteries antiaériennes des Allemands. Un malheureux problème technique en serait la cause.
L’endroit (en 2019) où l’avion s’est écrasé. À droite se
trouve le Garage Madoux & Fils. Juste à côté se trouvait la fromagerie-beurrerie. Ici derrière l’avion est tombé. (Photo : MS)
D’après le livre de Stan Bishop : 'Losses of the US 8th & 9th Air Forces' (Vol. 4, p. 576) et d'autres sources (8), le second lieutenant fut d’abord enterré près de l’épave par des civiles, ensuite le 7 novembre au Cimetière Militaire Américain n°1 à Fosses-la-Ville, situé entre Charleroi et Namur, où 2.199 soldats américains ont été enterrés. C’était le plus grand cimetière américain en Belgique.
Le cimétière américain n° 1 à Fosses-la-Ville, ouvert le 8 septembre 1944 sur la colline de la "Campagne du Chêne". Le cimetière a subsisté jusqu'en 1948. (photo : carte postale)
Ce n’est que le 28 mai 1949 que son corps sera réinterré définitivement à l’Holy Sepulchre Cemetery à Rochester.
À son côté repose son frère cadet John E. Schiefen Jr. Lui aussi fut enrôlé à l’armée, lui aussi devenait pilote. John E. Schiefen fut abattu en avril 1945 mais pourrait rejoindre son unité juste avant la fin de la guerre et survivait. Il est décédé en 1955.
La tombale à l’Holy Sepulchre Cemetery à Rochester. (photo : https://www.findagrave.com/memorial/71351296/william-c_-schiefen)
75 ans plus tard
Nicolas Clinaz, passionné d'histoire aéronautique de la Seconde Guerre mondiale et instigateur du projet de l’inauguration d’une stèle en hommage du 2nd lieutenant William C. Schiefen, qui aura lieu le 1er septembre 2019 : "Le fils de John - prénommé William en hommage – nous avait rendu visite en 2015 et souhaitait déjà honorer l’oncle qu’il n’a pas connu. Nous pourrons donc réaliser le souhait de la famille Schiefen le 1er septembre 2019". (9)
Ceci en compagnie de la famille.
Souvenons-nous !
La stèle, située Chemin du Pont Busnel, pas loin de l’endroit où l’avion s’est écrasé (photo : MS)
Le texte sur la stèle (photo : MS)
La photo de William C. Schiefen sur la stèle (photo : MS
Autres publications (articles/dossiers) sur ce site sur la Seconde Guerre mondiale :
- Sur les traces du sergent Vincent John Reese.
Deuxième Guerre mondiale. Après la chute du B-17 à Cerfontaine le 30 décembre 1943 (il y a 75 ans), le sergent américain Vincent Reese, de profession graveur avant d’être recruté par l’Airforce, se retrouve seul dans le bois.
Lisez ce qui suit. (Article 4 décembre 2018)
- Le Maquis de Neuville-Senzeilles : 1943-1944.
La première partie. (Article 16 Août 2016)
La deuxième partie. (Article 23 Août 2016)
La troisième partie. (Article 30 Août 2016)
Addendum. (Article 15 mars 2018)
- Deux chutes d’avions tout près de chez nous en 1944.
(Article 14 janvier 2016)
- 6 avril
1942 : Chute d’un avion anglais tout près de chez nous.
(Article 2 décembre 2015)
(1) Basé sur : https://en.wikipedia.org/wiki/Rochester,_New_York
(2) https://www.findagrave.com/memorial/71351296/william-c_-schiefen et Democrat and Chronicle Rochester, New York, 26 May 1949, Page 23.
(4) Photo : https://www.findagrave.com/memorial/71351296/william-c_-schiefen
(5) https://en.wikipedia.org/wiki/370th_Fighter_Squadron
(6) Photo : https://www.findagrave.com/memorial/71351296/william-c_-schiefen
(7) D'après des documents officiels : https://www.fold3.com/document/28668863/
(8) Histoire & Témoignages 1940-1945 Philippeville, J. Couvreur, 2014
(9) Biographie William Charles Schiefen de Nicolas Clinaz
Texte : André Van Bosbeke - Correction : Valérie Stucker - Un tout grand merci à Louis Behiels