5 ans Le Petit Rustique : c'est chic !

Interview Yvan Nicolas


L' introduction

 

"Au milieu des années 1970, le boucher du village de Matagne-la-Petite, décide de diversifier ses activités. Il rénove la grange située à côté de chez lui et la transforme en café du village. La boucherie étant contigüe, il entreprend d’apporter aux « derniers clients du jour » les restes d’invendus de sa boutique : saucisses, boudins ou brochettes trouvent vite acquéreurs ! Guy, le boucher, et son épouse Liliane, ont ainsi trouvé la recette pour lancer la réputation du ‘Petit Rustique’.

On y vient alors de loin pour y faire la fête, jouer aux divers jeux, surtout le kicker ou le juke box, et pour s’amuser jusqu’aux petites heures. Les récits de soirées mémorables sont légion !

Guy décède malheureusement trop vite, trop jeune. Liliane continuera seule l’aventure jusqu’à ce que sa santé le lui permette. Elle arrêtera la gestion du café dans les années 1990.

Plusieurs gérants lui succèdent avec plus ou moins de bonheur. Mais les temps sont difficiles pour les tenanciers de café qui doivent supporter des charges de plus en plus lourdes : location du café, contrat de brasseries, sévérité accrue contre l’alcool au volant, et taxes diverses en découragent plus d’un…

En mars 2014, après deux ans d’une ‘reprise diversement appréciée’ par la clientèle locale, le dernier couple de repreneurs jette l’éponge. Ils ont toutefois lancé le concept du café-concert…

Trois mois plus tard, désolé de voir ce lieu autrefois animé toujours inoccupé, conscient aussi de la difficulté de maintenir un métier d’indépendant par la seule gestion d’un café de village, une bande de joyeux idéalistes décident de reprendre la gestion de l’endroit, sous une forme associative." (1)

 

Cela fait donc 5 ans que cette ‘bande de joyeux idéalistes’ a repris Le Petit Rustique, avec grand succès ! Dernièrement l'asbl qui gère Le Petit Rustique a même reçu le "Mérite Associatif de la Créativité et de l'Innovation".

Grand temps pour une interview avec Yvan Nicolas, qui faisait et fait encore aujourd’hui partie de cette ‘bande’.

 

L' interview

LF - Bonjour Yvan, commençons par le tout début. En juin 2014 l’ASBL ‘Ça manque pas d’air’ a été créée. Le but final était la reprise de la gestion du Petit Rustique pour "développer des projets en vue de participer au développement économique, touristique, social et culturel de la région du sud de l’Entre Sambre et Meuse." Et pour "la promotion des actions, des idées et des recherches visant à améliorer la qualité de vie des habitants de la région et de son cadre de vie."

Qui étaient les personnes derrière l’ASBL ?

YN - Nous étions tout juste trois. Saskia (2), chanteuse et vétérinaire à Mazée, Christine une amie qui allait partir ensuite pour un voyage initiatique en Inde et moi-même, passionné de football et d’éducation permanente. Car, pour l’anecdote, la création de l’asbl coïncidait exactement avec les premiers matches de la Coupe du Monde de football au Brésil où nos Diables nous ont fait vibrer. Ambiance conviviale, soleil, déguisement des supporters, barbecue en terrasse : tout ça a contribué à lancer l’animation de l’espace. Nous étions et sommes toujours amoureux de l’associatif au sens où il peut rassembler des gens d’origines diverses autour d’un projet commun.

 

LF - Reprendre le Petit Rustique avait sans doute des conséquences financières. Comment avez-vous réussi à collecter l’argent pour cette reprise ?

YN - Nous avons démarré sans rien en poche. Le brasseur nous a fait confiance et vu le succès rencontré, je pense qu’il ne doit pas le regretter !  Les recettes du comptoir ont rapidement permis de payer les factures des fournitures, du loyer, des charges et du chauffage.  C’était un pari mais nous n’avons pas pris de risque financier. Nous avons grandi doucement, au fur et à mesure des recettes du bar, des pains saucisses et des premiers concerts.

 

LF - Le foot – le mondial 2014 – sur grand écran était le premier événement pour attirer les gens et faire connaître le ‘nouveau’ Petit Rustique. Aussi aujourd’hui vous organisez de tels événements. N’est-ce pas un peu ambigu : d’une part les matches qui attirent beaucoup de gens dans un esprit fraternel, d’autre part les footballeurs qui gagnent des tonnes sans (ou presque) payer de contributions sociales ou se cachent dans un paradis fiscal.

YN - Le paradoxe est bien réel. Le monde du foot évolue dans un monde à part et nous dénonçons ses dérives réguièrement . Lors de la Coupe du Monde brésilienne, nous avons dénoncé la situation des enfants des rues et les dépenses pour des infrastructures qui ne bénéficient pas à la population.  Ensuite, lors de la CM en Russie en 2018, nous avons participé à la campagne « Clean Clothes » pour dénoncer les conditions de travail désastreuses des couturières qui fabriquent les maillots et nos t-shirt en général. Une exposition permanente illustrait ce thème et une pétition a circulé : 150 signatures se sont jointes à 50.000 autres en Belgique et ont été remise aux ministres concernées (Mr Peeters à l’époque). Nous nous servons des événements populaires pour éveiller les consciences et si possible proposer des actions concrètes.  Le résultat est que pour commander nos t-shirts qui célèbrent nos cinq ans, nous avons choisi une marque qui est engagée dans les processus de respect des droits des travailleurs (via la Fair Wear Foundation  (voir les liens sur www.achact.be)

 

LF - Pas de retransmission sur grand écran du Tour de France en juillet ?

YN - Mais  oui, bien sûr !!

Les jours d’ouverture, nos clients se passionnent pour les événements sportifs : Le tennis, la Formule Un,e le rallye et le cyclisme sont fort demandés et fort suivis !

 

LF - À partir d’août 2014 des concerts ont été organisés toutes les 2 semaines, unique pour la région. Était-ce un succès dès le début ?

YN - L’organisation des concerts étaient une de nos motivations de départ. Un par mois nous aurait déjà grandement satisfaits. Mais rapidement, nous avons trouvé ce rythme qui convient aux bénévoles et au public : tous les quinze jours, c’est un rythme facile à retenir pour nos bénévoles et pour le public. Et le choix du vendredi a été finalement le résultat de discussions avec le centre culturel de Doische afin de ne pas être en concurrence avec les activités des divers comités des dix villages de l’entité communale. Le succès a donc dépassé nos espérances et la belle histoire continue. Notre programmation est déjà complète jusque mars 2020.

 

LF - Sur quelle base/critères les groupes/musiciens sont-ils choisis ?

YN - C’est surtout le domaine de Sakia notre programmatrice des concerts. Nous cherchons des musiciens et chanteurs originaux qui composent et interprètent leurs propres chansons. Toutefois, nous acceptons parfois des groupes de « covers » mais c’est beaucoup plus rare.

 

LF - Il me semble que les groupes/musiciens aiment bien venir jouer au Petit Rustique à cause de l’ambiance, même s’ils ne sont pas payés. Ils ne sont que rémunérés au ‘chapeau’. Cela leur permet-il au moins de financier leurs frais ? Peut-être plus ?

YN - En effet, nous avons été surpris de l’engouement parmi les chanteurs et musiciens. Il y a un véritable réseau de « bouche à oreilles » qui fonctionne parfaitement parmi le public mais aussi et surtout parmi les musiciens et chanteurs ! Aujourd’hui, nous sommes fiers de constater que le calendrier des concerts est complet plus de neuf mois à l’avance ! Nous recevons énormément de demandes ! L’entrée est gratuite mais le public est en effet invité à payer sa « contribution » via une participation libre dans le « chapeau » et si celui-ci s’avère insuffisant, l’asbl complète sur ses fonds propres. Un montant est fixé à l’avance avec les artistes.

 

LF - Quels étaient pour vous les concerts les plus mémorables ? Pour quelles raisons ?

YN - C’est difficile à dire. Chaque groupe, chaque artiste parvient à créer une ambiance particulière qui lui corrrespond. On a vraiment l’impression que le lieu en lui-même crée une alchimie entre les musiciens et le public. L’ambiance y est toujours bon enfant et conviviale.

 

LF - Le Petit Rustique invite également des artistes (photos, peintures) (plutôt inconnus) de la région qui y exposent leurs œuvres pendant un mois.

Y a-t-il beaucoup d’intérêt de la part des clients du Petit Rustique ?

Ces expositions aident-elles les artistes à se faire connaître et attirer l’intérêt, par exemple des centres culturels de la région ?

YN - Nous avons de très beaux murs en pierre qui méritent d’être habillés ! Et nous avons pensé que des expositions mensuelles pourraient aussi contribuer à l’ambiance. C’est pourquoi nous avons eu cette idée d’exposer des artistes, peintres et photographes en alternance. Souvent, cela éveille la curiosité du public et il y a parfois des coups de coeur qui se soldent par la vente de tableaux sur laquelle nous ne prenons aucun bénéfice. En général, l’artiste est souvent très satisfait des contacts établis avec le publics et des liens créés ainsi.

 

 

LF - Pour faire vivre le Petit Rustique, il faut des bénévoles. Combien y en a-t-il aujourd’hui ? Est-ce difficile d’en trouver ? Quels sont les critères pour devenir bénévole ?

YN - Tout le monde est le bienvenu, et pas seulement pour servir au bar.  Il y a un tas d’activités préalables à l’ouverture pour lesquels des bénévoles sont les bienvenus : faire les courses ou les commandes, les inventaires, monter et démonter les expos, ranger, bricoler, organiser les conférences, etc. Il n’y a pas d’autres critères que celui de se rendre utile dans le respect des différences. Nous sommes actuellement une bonne trentaine. Chacun d’entre nous a signé une convention qui précise les tâches ainsi que les droits et obligations de chacun. Un règlement est bien sûr à respecter. Nous demandons un grand respect des uns et des autres (bénévoles et clients) et une rigueur précise dans la gestion des recettes du bar évidemment.

 

LF - Y a-t-il des jeunes gens pour y assumer des responsabilités en tant que bénévoles ou comme administrateurs ?

YN - Oui, des jeunes nous rejoignent aussi, même si la majorité des bénévoles a une bonne cinquantaine d’années. Le nouveau Président, Michaël Horevoets (3), qui vient d’être élu à la dernière assemblée générale a moins de trente ans !

 

LF - Les frais du Petit Rustique sont payés par les revenus de la vente des boissons.

Est-ce suffisant pour faire tourner le café et organiser tous ces événements ?

Recevez-vous des subsides ? Des dons ?

YN - Oui, chaque mois, les recettes du bar permettent d’équilibrer les comptes et de dégager un petit bénéfice qui permet les charges et de faire des investissements. C’est ainsi que nous avons installé une sono complète pour les concerts, un éclairage spécifique pour les expositions et une belle terrasse couverte à l’arrière. Nous avons jusqu’à présent cherché peu de subsides (sauf par exemple pour organiser la « semaine du commerce équitable ») mais nous avons reçu quelques prix comme le Mérite Culturel communal 2016 ou le Prix Associatif 2019

 

LF - Quels types d’événements autres que des concerts, des expositions et la diffusion de matchs de foot ont été organisés au Petit Rustique ? Pourriez-vous donner des exemples.

YN - Nous organisons des balades sophrologiques en été et des séances de sophrologie en hiver qui réunissent une dizaine de personnes deux fois par mois depuis quatre ans ! Nous avons déjà organisé trois « semaines du commerce équitable » avec des courses au trésor ou des conteuses et des petits déjeuners avec des producteurs locaux. Nous  organisons aussi maintenant des conférences mensuelles sur différents thèmes proposés par les bénévoles. La dernière sur le thème de « l’homme et la vie sauvage » a rencontré un vrai succès de foule avec 45 personnes. Nous organisons également des rencontres citoyennes comme sur l’élargissement du Parc Naturel ou pour rencontrer les candidats aux élections communales et régionales.

 

LF - Avez-vous d’autres types d’événements en tête que vous souhaiteriez organiser dans le futur ?

YN - Avec l’équipe actuelle, je pense que nous avons trouvé notre rythme de croisière avec deux concerts et deux marches par mois, les expositions, les conférences. Peut-être qu’un des axes futurs sera de mieux valoriser la région en faisant la promotion de promenades ou de randonnées. Mais ça demanderait une ouverture sur les temps de midi pour accueillir les promeneurs ou randonneurs. Voilà par exemple un domaine qu’on pourrait confier à des nouveaux bénévoles !

 

LF - Cette année "Ça manque pas d'air" a reçu le "Mérite Associatif de la Créativité et de l'Innovation". Comment cela s’est-il passé ?

Quelle instance donne ce prix ?

Qu’est-ce cela signifie pour vous ?

YN - Nous avons été très surpris d’être contactés puis sélectionnés pour participer aux Mérites associatifs désignés par la Maison Pour Associations de la région de Charleroi (www.mpa8.be). Et nous avons finalement obtenu ce prix magnifique. C’est pour nous tous une belle reconnaissance de la dynamique associative que nous avons réussi à mettre en place depuis cinq ans. Non seulement, on peut dire que nos activités rencontrent souvent du succès mais aussi que nous réussissons à gérer ce projet dans la durée. C’était et ça reste un pari qui « ne manque pas d’air » mais qui tient pour l’instant toutes ses promesses.

 

LF - Quelle est la composition du Conseil d’administration d’aujourd’hui ?

YN - Nous sommes actuellement dix administrateurs dont six femmes. Une élection a lieu chaque année lors de l’assemblée générale. Les administrateurs actuels sont majoritairement de la région de Doische et Viroinval mais nous avons aussi une administratrice de la région de Charleroi. Nous devenons progressivement une association qui a atteint une portée régionale et transfrontalière avec nos voisins français.

 

LF - Pourriez-vous nous raconter quelques anecdotes des cinq années passées ?

Des événements spéciaux, mémorables. Que vous n’oublierez jamais. Qui vous ont touché profondément ?

YN - Il y en a beaucoup, au point qu’on se dit parfois qu’on devrait écrire un livre ! Personnellement, j’ai été très touché par un groupe de marcheurs « à mobilité réduites » qui sont venus deux fois découvrir la beauté de la région. Le solidarité qui émane de ces groupes est tellement profonde que cela ne peut que nous encourager à continuer nos activités pour offrir notre lieu d’accueil à toutes ces personnes aussi.

 

LF - Le Petit Rustique que signifie-t-il pour vous personnellement ?

YN - C’est surtout un lieu où on se sent bien et où on prend plaisir à discuter avec des gens d’horizons très divers. Enormément d’amitiés se sont créées ainsi avec des gens que je n’aurais jamais pu rencontrer ailleurs. Il y a même de belles histoires d’amour qui se sont tissées à  partir du Petit Rustique.

 

LF - Quels sont vos rêves concernant Le Petit Rustique, réalisables ou non ?

YN - Mon vœu les plus cher est évidemment de continuer à faire vivre ce bel endroit. Je serai heureux de voir qu’une relève est assurée. C’est en bonne voie je crois. Nous avons des perspectives de développement qui vont être structurées progressivement grâce à un accompagnement extérieur qui va se mettre en place à la rentrée en septembre. C’est un appel à projet auquel nous avons participé et que nous avons emporté. Tous les frais seront payés via la Maison des Associations de l’entre-sambre-et-meuse. Tous les rêves sont réalisables quand ils sont portés par une équipe soudée autour d’objectifs porteurs.

 

LF - Le Petit Rustique a fêté ses 5 ans il y a une bonne semaine. Quels événements étaient programmés pour célébrer les 5 ans ?

YN - Il y avait deux concerts le vendredi passé 28 juin au soir, puis une réception officielle le samedi 29.

Et dimanche 30 juin, c’était notre fête à nous les bénévoles !

Enfin, pour marquer le coup, nous allons mettre en vente prochainement des t-shirts. Ce sera une autre façon pour le public de marquer son soutien à nos activités. En l’achetant bien sûr mais surtout en le portant !



Adresse

Rue de l’auberge 17,  5680 Matagne-la-Petite

 

Heures d’ouverture

jeudi et lundi de 15 à 22h

vendredi et samedi de 15h à 2h (du matin)

dimanche de 10 à 22h

 

Pour savoir ce qui se passe au Petit Rustique, vous pouvez aussi consultez notre Agenda.



(1) Texte repris du website Ca manque pas d’air : http://camanquepasdair-asbl.be/

(2) Saskia Jamar interview :  https://villagelaforet.jimdo.com/saskia-jamar-interview/

(3) Michaël Horevoets est entre autres le conservateur actuel au Musée du Malgré-Tout à Treignes.

AvB - Photos : facebook Le Petit Rustique - photo Saskia Jamar : Christine Ruytinx.