Le maquis de Neuville-Senzeilles : 1943-1944
5. Les tueries bestiales
Le 30 septembre 1943 vers 11 heures un bombardier américain du type B17 faisait un atterrissage d’urgence dans la campagne des Dèrodès
à Cerfontaine, près de la route de Virelles. L’avion avait été touché par des projectiles des canons de Flak, la lutte antiaérienne allemande à Saarbrücken. Parmi l’équipage, un fut tué durant
l’attaque, trois furent blessés et soignés par des ambulanciers de Cerfontaine. Les six autres fuirent dans le bois. L’un d’eux, le sergent Vincent J. Reese (35 ans), serait retrouvé par des
ouvriers de Julien Lehouck et ramené au château de Senzeilles. Plus tard il se cacherait chez les maquisards.
Les Allemands envoyèrent une garde pour surveiller l’avion. Cette garde se composait d’un sous-officier et de trois soldats plus âgés.
Le 8 février 1944 ces trois soldats avaient disparus et le bruit circulait qu’ils avaient déserté. En réalité, les maquisards les avaient capturés et conduis au camp. Ce qui se passa alors fut
horrible. Ils furent exécutés avec leurs propres armes d’une balle dans la tempe et par la suite enterrés à proximité du camp. (4)
D’après des responsables du Groupe G, ces tueries n’avaient pas été ordonnées par le Groupe G, il semble qu’il s’agissait d’une
initiative de certains maquisards.
Néanmoins, ces événements auront des conséquences mortelles pour beaucoup de personnes.
6. Les Allemands en action
Le 11 février 1944, soit trois jours après les assassinats, Julien Lehouck, entre autre, fut arrêté alors qu’il essayait de s’enfuir
et se blessait à la jambe. Le lendemain, sa femme, Simone Gerbehaye, contactait le docteur Canivet, responsable du Groupe G, pour faire évacuer le camp des maquisards. Ceux-ci ne semblaient pas
donner suite à l’appel super-urgent de Mme Lehouck. Cependant elle réussissait à faire sortir du camp le sergent Reese de l’avion B17. Dans les jours suivants, les arrestations allaient
continuer. C’était la terreur. Entre-temps les Allemands, eux, se préparaient pour l’attaque du maquis.
Le 16 février 1944: environ 1000 soldats allemands avec tout le charroi dont 1 auto-camion, venant de Florennes, stationnaient sur la
Place d’Armes avant de se rendre dans le bois de Seinzeilles, à la recherche de maquisards.(4bis) La colonne se dirigeait vers la halte de Neuville-Sud. A
partir de là, la première attaque fut lancée. "L’action est rapide. Les coups de feu claquent, leurs armes automatiques crépitent semant la mort.... un chasseur allemand survole le maquis qu’il
mitraille sans arrêt... les maquisards sont réduits à l’impuissance et sont capturés les armes à la main. Les huttes sont fouillées : les cadavres sont déterrés ; les constructions sont
incendiées." (5)
Marcel Roggeman parvenait à s’enfuir :
"Le jour de l’attaque, ..., ils étaient à trois de corvée pour aller chercher du pain que l’on cuisait à la ferme de la Forêt ; il aperçoit les Allemands, s’échappe par la fenêtre et revient avertir les hommes restés au camp ; des sentinelles sont envoyées aux lisières mais c’est l’encerclement complet ! Le chef, Joseph Vercheval, envoie des volontaires pour reconnaître le terrain ; Marcel Roggeman et deux autres s’en vont dans une direction. Les Allemands tirent vers la route, les hommes se jettent sur le côté, chacun pour soi, jusqu’à la lisière qui est fortement gardée. Retour vers le camp ; sur la crête qui le surplombe, trois Allemands – le pointeur, le chargeur et le chef de pièce – leur tirent dessus par derrière ; d’autres ennemis arrivent. Quant à lui, il se réfugie dans un fossé, la tête près d’une touffe d’herbe, le fusil caché dans les feuilles mortes ; l’ennemi passe et ne voit rien."(6)
Marcel Balle fut aussi un des rescapés du camp :
"… nous entendions des détonations et des rafales de mitraillette venant du côté du camp. Mon chef m’envoie en estafette au coin de la route tandis qu’il repart vers le camp en courant. De mon côté, je me mets à courir et en arrivant au tournant, j’aperçois des pas et j’entends du bruit : trop tard, je n’étais même plus à 10 mètres d’eux, c’était les Allemands. Sans perdre mon sang-froid, je me lance vers le bois ; j’ai à peine fait 5 mètres qu’une rafale de mitraillette siffle à mes oreilles ; je fais une dizaine de mètres puis je me retrouve à terre dans un buisson, les membres paralysés.
Dans un effort, je me relève et je m’élance encore quand une seconde rafale siffle encore derrière moi, je fais encore 10 mètres, m’élance à nouveau mais cette fois, mon fusil reste attaché dans les branches ; je me relève encore une fois et je cours vers le camp ; en arrivant près du ravin, je descends jusqu’au fond et apercevant une rivière, je me jette dans celle-ci et j’attends.
À peine 2 minutes se sont-elles écoulées que j’entends des pas, du bruit et les ordres d’un chef. Les voici sur moi, l’un à un mètre à ma gauche et l’autre à un mètre à ma droite, je ne bouge pas et j’attends le moment où l’un d’eux va me caresser avec sa mitraillette où me dire : ‘Alley, kom !’ ; mais non, ils sont passés et j’entends la voix de leur chef se perdre dans le lointain.
La fusillade fait rage du côté du camp. Tout à coup à 20 mètres derrière moi, j’entends encore des paroles en allemand, c’est une autre file qui ratisse le terrain pour surprendre les fuyards sans doute ; aussi, je reste où je suis, la moitié du corps en longueur dans l’eau et l’autre moitié dehors ; j’ai dû rester dans cette position 2h30 sans bouger, sans tousser et sans faire aucun mouvement.
La nuit commence à tomber et les Allemands s’en retournent. Quand la nuit est tout à fait venue, je frotte mes membres qui sont engourdis et je presse fortement mes pantalons et ma veste afin que l’eau tombe.
Il est 6h30, la fusillade a cessé, je remets alors mes souliers qui sont des souliers de repos (pointure 44), je les remets donc sans mes chaussures et je reste là sans bouger jusqu’à 8h30.
....
À 9h30, j’arrive près de l’étang Ludovic Meunier où je reste une ½ heure à écouter ; soudain, j’entends un bruit, je me mets en éclaireur derrière un arbre et j’attends ¼ d’heure. Illusion, je ne vois rien mais j’ai la tête pesante, la fièvre me mine et la faim se fait sentir, je reste encore jusqu’à 6h du soir à me promener autour du Chêneux ; la fièvre me donne des visions : tantôt, je vois un camarade scier du bois ; plus loin, derrière un arbre, un Allemand me met en joue avec sa mitraillette ; plus loin encore, mon camarade Marcel qui est assis et puis toujours, le même geste pour remettre mon fusil, que je n’avais plus, à l’épaule.
À 4h, je n’en peux plus ; aussi, je fais un fagot de bois, le charge sur mon épaule et à 6 h, je gagne la route de Cerfontaine et arrive chez mes grands-parents une demi-heure plus tard..."(7)
Six maquisards ont pu s’échapper, mais onze furent arrêtés.
Après un procès de farce, ces onze maquisards et Julien Lehouck furent condamnés à mort et pendus au camp de Breendonk le 25 février 1944. Les pendaisons commencèrent à 6 heures du soir et les maquisards furent pendus trois par trois pendant que les vivants regardaient. D’après un témoignage de l’aumônier de la Wehrmacht, les cordes étaient grosses, pour que l’agonie se prolonge. Ainsi, les trois premiers pendus n’étaient pas encore morts après dix minutes et ils furent alors tués d’une balle dans la tête. Affreux !
Les bourreaux étaient des membres de l'Algemeen SS Vlaanderen, encore plus nazie que les les nazies.
Les Allemands publiaient leur jugement dans les journaux, entre autres dans la ‘Brüsseler Zeitung’ du 28 février. Un extrait :
"Le 8 février 1944, la bande commit un attentat contre une garde de l’aviation allemande et assassina les trois soldats allemands qui y étaient de service. Cet attentat leur devint fatal et aboutit le 16 février 1944 à leur arrestation et à une prompte condamnation....
Le 25 février 1944, le Tribunal de guerre en campagne a condamné à mort tous les membres de la bande. Le jugement fut confirmé immédiatement par le Général-Commandant le ‘Luftgau’ Belgique - Nord de la France et fut exécuté encore le même jour par pendaison en raison du caractère ignoble et brutal de cet acte.
Par ce qui précède, les terroristes pourront se rendre compte que l’armée allemande réagit rapidement et avec énergie contre tous les
éléments qui se montrent hostiles et criminels à son égard ou qui mettent en péril la sécurité du pays. Ce cas devrait montrer une fois de plus à la population belge combien il est faux et
dangereux d’entourer les terroristes de la gloriole du patriotisme alors que leurs actes ne sont en réalité rien d’autre que des crimes communs."
Jusqu’au début mai les arrestations continuèrent. Au total 59 personnes furent arrêtées. Comme décrit, 12 furent exécutées à
Breendonk. 16 furent libérées, certaines après 80 jours de détention. Une personne décédait en prison. 30 furent envoyées en Allemagne dans les camps de concentration, y compris une partie du
réseau du Groupe G de Charleroi . Seulement 6 survivraient.
Comment les Allemands ont-ils pu trouver toutes ces personnes? Sans doute des gens ont parlé durant des interrogatoires. Sans doute y avait-il même un infiltré. Mais également : "dans le camp, les Allemands ont trouvé une feuille de papier sur laquelle figurait la liste complète des personnes qui avaient apporté une aide quelconque au camp, matérielle ou morale". (8 )
En ce qui concerne le Groupe G : "plus de vingt pour cent des 4 046 membres qui ont été officiellement reconnus après la guerre, ont perdu la vie à leur poste de combat ou dans les prisons nazies". (9)
Fin de la seconde partie.
(4) Le Maquis de Senzeilles, Maurice Van Cantfort, Cahier n° 20, p. 9, 1994.
(4bis) Clement Dimanche – Philippeville, Place Forte du XVIe siècle (1974), p. 68.
(5) idem, p. 12.
(6) idem, p.24-25, extrait.
(7) idem p.26-27, extrait.
(8) Déclaration Bernhard Shubring. Dans : Quelques souvenirs de guerre dans l’entité de Cerfontaine (1940-1944), Cahier n° 139, 2004,
p. 26, André Lépîne, 2005. Website.
(9) Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_G
Texte : AvB - Corrections : VS