Le Chevalier Gérald

par Caroline Dewaele (Orchies)


Gérald était le pire chevalier qu'on puisse rencontrer.

Sa monture ? Un vieux cheval brun efflanqué.

Son armure ? Une côte de maille trouée.

Son épée était rouillée, son bouclier cabossé...

Et ses exploits ? La risée du royaume entier ! Jamais il n'avait sauvé de belle ni tuer de dragon. Son père lui disait qu'il faisait honte à son nom...

 

Non, vraiment, Gérald ne faisait pas rêver comme chevalier !

 

Pourtant, il faisait de son mieux... Même s'il n'aimait pas vraiment ça. Gérald, lui, il avait toujours voulu être musicien et chanter. Voir les gens danser, les faire rire et s'amuser, les faire vibrer et s'émerveiller...

 

Mais un fils de noble se doit d'être chevalier ! Il doit savoir manier l'épée, le bouclier, monter à cheval, séduire toutes les belles princesses du royaume, combattre les dragons, être fort, être fier! Ce n'était pas vraiment son genre à Gérald... Mais c'était ce que son père voulait et c'était sa destinée.

 

Alors, il s'y était fait. Il avait appris tant bien que mal à manier l'épée, il avait appris tant bien que mal à monter à cheval. Et il parcourait le royaume en essayant de faire le fier, de faire le fort, pour mériter son titre de chevalier, prouver sa valeur et récupérer l'estime de son père. Mais n'étant pas forcément doué pour ça, il avait beau essayer, ça se soldait toujours par une catastrophe !

 

Ce jour-là, il s'en revenait d'une quête particulièrement éprouvante, où il avait bien failli y laisser sa peau. Encore un « exploit » qui ferait de lui la risée du pays...

 

Il s'en allait donc sur les chemins, monté sur son cheval efflanqué, la tête baissée, le dos courbé, vers le prochain village où il pourrait se reposer. Quand face à lui, sorti de nulle part, apparut un immense château. Gérald aurait juré que l'instant d'avant, il n'y avait qu'une plaine vide en face de lui ! Et maintenant, une forteresse de pierres blanches et de diamants s'y dressait. Le pont-levis de bois noble était baissé, comme l'invitant à entrer, et menait à une lourde double-porte en marbre magnifiquement ouvragée. Alentour, rien. Un silence total régnait.

 

Gérald, sur son cheval brun efflanqué, s'engagea sur le pont, et arrivé devant les portes, il vit qu'un message y était gravé. Il le lut à haute voix : « Ô toi, humain qui oses franchir le seuil de ce château, sache que jamais ne repartiras sans avoir changé de peau. »

 

Les énormes portes tournèrent sur leurs gonds, en silence, et s'ouvrirent sur une grande cour pavée de pierres blanches. Gérald s'avança prudemment, serrant son épée rouillée dans sa main droite, et son bouclier fendu dans sa main gauche, quand brusquement les portes se refermèrent dans un bruit assourdissant, qui se répercuta en écho dans l'enceinte du château. Le cheval de Gérald, surpris, se cabra en hennissant, envoyant valser son cavalier, et couru droit vers la porte, à travers laquelle il passa, sous les yeux ébahis de Gérald, peinant à se relever.

 

Le chevalier se remit sur ses pieds, s'épousseta un peu, et entendit ... « chpounk, chpounk... » comme un bruit de … « chpounk, chpounk... ». Il se retourna et se retrouva face à un dragon immense, avec un corps large, ressemblant à celui d'un éléphant, une longue queue de serpent, des ailes ressemblant à celles d'une chauve-souris, géantes, un long cou se terminant par une tête de crocodile, avec une peau noire d'écailles luisantes, et des yeux... des yeux en amandes rouges flamboyant qui le fixaient sans ciller.

 

Gérald fit demi-tour et couru aussi vite qu'il le put vers la double-porte... et se cogna dessus, se retrouvant sur les fesses, étourdi. Une voix résonna alors « Ô toi, humain qui oses franchir le seuil de ce château, saches que jamais ne repartiras sans avoir changé de peau. »

 

Derrière lui, il entendit le monstre qui avançait lentement. Alors, rassemblant tout son courage, se rappelant son rang et son rôle de chevalier, Gérald poussa un cri de guerre et se rua sur le dragon, épée en avant. Il le contourna, se protégeant des flammes sortant de l'immense gueule du monstre par son bouclier cabossé, et enfonça son épée dans le flanc de la bête. Enfin, il essaya, car son épée se brisa, au contact du flanc de la bête... Le monstre se tourna vers lui. Gérald tenta de se protéger derrière son bouclier, contre laquelle il cogna le pommeau de son épée, faisant « Dziiinnng ». Et là, le dragon s'arrêta, et regarda Gérald. Le chevalier risqua un œil, et tenta un nouveau « Dzing ! ». Le dragon pencha la tête. « Dzing, dzang... ». Le dragon s'assit.

 

Gérald s'assit à son tour, face au dragon, et joua de la musique, en tapant sur son bouclier, comme sur un instrument.

 

Petit à petit, les yeux du dragon changèrent de couleur. Ils devinrent oranges, puis verts, puis bleus. La peau du monstre s'éclaire, devint gris, puis blanc, sauf sur le dessus de sa tête. Les écailles se transformèrent en plumes. Les ailes de chauve-souris se couvrirent elles aussi de plumes blanches. Et la gueule de la bête devint un bec. Le dragon était devenu un immense aigle blanc.

 

Gérald s'arrêta de jouer.

 

Mais l'aigle se leva et donna un petit coup de bec sur le bouclier, pour le faire résonner et comme encourager l'homme à continuer. Alors, Gérald recommença. Et il vit l'aigle danser, et tourner, et tourner, et tourner encore, jusqu'à ce qu'il ne vit plus qu'une lumière blanche avec un petit point noir au sommet. Puis l'aigle s'arrêta de tourner. Ce n'était plus un aigle mais une jeune femme avec de grands yeux bleus, de longs cheveux noirs de jais, et portant une simple robe blanche, qui lui souriait : « Je m'appelle Aglia. Merci. ».

 

La lourde porte ouvragée s'ouvrit et laissa sortir les deux jeunes gens.

 

Depuis ce jour, Gérald n'est plus chevalier, il est troubadour.  Avec Aglia, ils parcourent le royaume. Lui chantant et jouant de son instrument. Elle, dansant et virevoltant, pour le plaisir des gens. De les voir rire et s'amuser, vibrer et s'émerveiller, osant être ce qu'ils voulaient et non ce qu'on leur demandait.