Gilbert Thienpont : une interview
(publiée 22 septembre 2017)
Gilbert Thienpont, qui habite avec sa femme Ivette près de Gand, est Forêtois depuis de nombreux week-ends et vacances. En 2017 il devenait même le champion du tournoi de pétanque annuel, ici à La Forêt.
Saviez-vous que déjà en 1969 – il y a 48 ans – Gilbert rapportait le championnat de Belgique 800 mètres au stade du Heysel à Bruxelles ? Saviez-vous que plus tard Gilbert entraînait des athlètes de tout haut niveau ? Encore plus remarquable : saviez-vous qu’en septembre 1967 Gilbert et Ivette se mariaient et qu’ils fêtent demain (le samedi 23 septembre) leurs noces d’or ? (1)
Grand temps pour une interview avec Gilbert, qui est aujourd’hui aussi photographe pour notre site. Après, nous vous proposons le récit de ce jour remarquable en 1969, quand Gilbert devenait champion de Belgique.
1. L’interview
- Date de naissance?
GT : 19 mai 1945
- Activité avant pension ?
GT : Agent d'assurance à la Royale Belge, aujourd’hui AXA. Grâce à un régime de départ favorable j’ai pu prendre ma retraite quelques années plus tôt.
Ma femme Ivette a continué à travailler dans le secteur des soins chez Familiehulp (aide familiale, ndlr)
- Vous vivez toujours à Melle et durant plusieurs week-ends, vous êtes ici. En quelle année êtes-vous venus à La Forêt? Pourquoi et comment ici, à La Forêt?
GT : À la fin de 2005, j’ai lu dans le journal des articles sur la région de Viroinval, laquelle n’était pas encore découverte par les touristes.
L'intérêt grandit et j'ai donc pris quelques moments pour googler afin de trouver un gîte. C’est ainsi que nous sommes arivés à La Forêt. Nous y venons régulièrement. Bien qu’initialement on pensait louer, il n’en était pas question.
Nous aimons venir à la Forêt. À partir de notre résidence à Melle, cela nous prend 1h30 pour venir jusqu’ici.
- Toujours satisfait ?
GT : Les statuts du domaine me semblent bien compliqués, mais pour nous, il n’y a aucun problème et tout fonctionne à notre goût.
- Quelles sont vos activités durant votre séjour à La Forêt ?
GT : Il y aura toujours une certaine attention pour l’entretien de la propriété.
Des randonnées pédestres et continuer à découvrir la nature sauvage seront toujours sur notre programme.
Les nombreuses brocantes de la région ne sont pas omis, à la recherche d’un... objet de collection.
- Vous avez eu aussi une carrière d’athlète. En 1969 vous avez remporté le championnat de Belgique sur 800 m. Pourriez-vous nous parler de cette époque.
GT : Ma carrière d’athlétisme a commencé à peu près vers 1960 après avoir joué du foot dans l’équipe de football locale.
Je m’étais affilié à La Gantoise (numéro matricule 1), aujourd’hui KaaGent Atletiek.
Au début je n’étais qu’un suiveur. Mais pendant mon service militaire en 1964 à Stockem près d’Arlon les choses changèrent. J’y avais des possibilités de m’entraîner plus souvent, avec des résultats : chaque année je pourrais renouveler les titres provençaux 400 m. et 800 m.
En 1969 je remportais le championnat de Belgique sur 800 m.
Les circonstances de cette époque ne sont pas comparables avec celles d’aujourd’hui. Par exemple, il n’y avait pas encore de pistes synthétiques. Courir sur des pistes cendrées, parfois mal
entretenues ou des pistes en gazon n’est pas favorable pour mettre un bon temps.
J’ai aussi eu des sélections dans des rencontres internationales Benelux-France et Belgique-Pays-Bas.
Une blessure récurrente au tendon d’Achille interrompit régulièrement ma formation. Ce fut la cause de devoir pratiquer mon sport moins intensivement.
Gilbert (à gauche) comme capitaine de FC Excelsior Mariakerke (1959)
Gilbert à Düsseldorf (1966) : les 400 m. en 49.05
- Ensuite vous avez obtenu le diplôme d’entraineur pour commencer une carrière d’entraineur. Racontez-nous !
GT : Alors j’aipensé que mon temps était venu pour utiliser mes expériences dans l’athlétisme et devenir entraineur. J’ai obtenu le diplôme d’entraineur au Vlaamse Atletiekliga.
Mon objectif était de guider des jeunes athlètes vers le top, mais sans des pratiques de recrutement qu’utilisaient certains collègues.
Mon premier athlète avec des aspirations internationales fut Eric De Tier, père de Floris qui fait aujourd’hui carrière dans le cyclisme (Team LottoNL-Jumbo).
Suivaient plusieurs athlètes comme par exemple Anneke Matthys qui devint plusieurs fois championne de Belgique et qui, jusqu’à aujourd’hui, tient la troisième place de tous les temps sur les 800 m. en Belgique.
Un autre grand talent fut Tim Rogge. Il remporta des titres belges à la chaîne. Sa plus grande réalisation fut une troisième place aux Championnats d’Europe des aspirants. Hélas, il avait plus de potentiel mais il faut y vivre pour 100%. Aujourd’hui il est entraineur, avec succès.
Il y eût Tom Vlerick, 3ème au championnat d’Europe du 800 m. juniors. Il a quitté l’athlétisme pour le cyclisme à l’âge de 22 ans. Il y eût aussi Anja Buysse, plusieurs fois sur le podium des championnats de Belgique, la tante du grand champion du cyclisme Greg Van Avermaet.
C’était aussi très agréable de pouvoir assister aux compétitions et aux stages à l’étranger, tant comme entraineur que comme délégué. Sydney et Hong Kong stimulent bien sûr, le plus l’imagination.
Je fus également délégué-entraîneur du team des 4 juniors féminins, y compris Kim Gevaert et Veerle De Jaegere, aux Grands Prix à Berlin et à Zurich, comparables au Memorial Van Damme de chez nous. Des vraies fêtes de l’athlétisme.
L'un des plus beaux moments fut le premier titre national de Anneke Matthys aux 800m.
Une des plus grandes déceptions : se trouver avec trois athlètes en pleine finale à un championnat de Belgique, y compris le grand favori Tim Rogge, et perdre la finale d’un athlète ‘repêché’.
Avec Kim Gevaert
- Quand et pourquoi avez-vous arrêté ces activités ?
Ma décision fut prise il y a des années : à l’âge de 65 je passe le flambeau. Aussitôt dit, aussitôt fait.
- Les méthodes d’entraînement, ont-elles beaucoup changé ?
Les méthodes de formation actuelles sont très différentes. Elles se basent plus sur la théorie et la science.
Les athlètes de haut niveau ont un contrat professionnel et peuvent s’occuper de leur sport à plein temps. Mais les résultats n’améliorent pas tellement.
Ce qui est important, c’est de bien connaître son athlète et de bien évaluer ses possibilités. Se reposer à temps peut être
bénéfique.
- Pratiquez-vous encore un sport ?
J’essaie de suivre presque tous les sports d’une certaine distance, mais je ne joue que la pétanque. À chaque occasion, nous sommes
présents pour jouer à la Bergerie.
- Parlez-nous des jeunes talents belges dans les sports.
Bien sûr Nafissatou Thiam est à la première place. Née à Namur le 19 août 1994, Thiam est déjà championne olympique et championne du monde à l’âge de 23. Sans revers ni problèmes elle pourrait encore gagner plusieurs médailles dans l’heptathlon, peut-être bien un record du monde comme apogée.
Un autre grand talent pour l'avenir est Nina Derwael dans la gymnastique artistique. Née le 26 mars 2000, à Saint-Trond, elle a déjà prouvé sa classe. Sa meilleure discipline sont les barres asymétriques. Dans cette discipline elle a déjà gagné au championnat d’Europe.
Au tennis, c’est David Goffin pour encore des années, et il peut conquérir sa place parmi les dix meilleurs joueurs du monde.
Evi Van Acker peut encore accumuler des médailles au nautisme à la voile. D’après moi Emma Plasschaert (23) pourrait devenir son successeur.
N’ayant que 22 ans, Luca Brecel est un talent exceptionnel dans le snooker et peut se mesurer aux meilleurs du monde.
Dans le monde du cyclisme les Belges se trouvent toujours parmi les meilleurs dans les épreuves d’un jour (les classiques), mais nous attendrons encore des années un cycliste de course à étapes. Peut-être que Dylan Theuns peut changer les choses.
Pour terminer, nous sommes surtout avancés dans les sports d’équipe. Dans le volley-ball, basket-ball, le hockey, ainsi que le football, nous obtenons de bons résultats dans les tournois les plus importants.
J’aperçois des talents en herbe dans le sport de pétanque, où l’âge ne joue pas un grand rôle, mais il faut pouvoir rester
sobre.
- Une dernière remarque, une anecdote, un voeu, ... ?
Je souhaite que le sport puisse être pratiqué d’une manière juste et pure, dans tous les pays du monde.
Et encore une petite anecdote du temps où j’étais athlète. Ce n’est arrivé à personne d’autre : Dans le stade du Heysel je me trouvais au départ d’un ... 1500 mètres. J’ai fait deux faux départs, bien sûr je fus disqualifié. Alors je me cachais un peu et je participais à la deuxième série que j’ai gagnée.
Le jury n’en pouvait plus de rire. Dans la semaine je dus comparaître devant une commission et je reçus un blâme.
Gibert & Ivette aujourd'hui
Il y a 50 ans !
2. Le Championnat de Belgique du 800m en 1969
Le dernier entraînement avant le championnat finissait avec un bon sentiment. Après une nuit à me tourner et retourner dans mon lit et
un petit déjeuner qui n’entrait pas bien, je partis à 8h avec ma Peugeot 404, pas tellement jeune, vers Bruxelles. Avant de prendre l’autoroute
j’allai chercher mon père. Il fut mon supporter le plus fidèle et il manquait rarement une épreuve. Ma femme Ivette et notre fils, pas encore un an, restaient à la maison. Dans ce temps-là ils
n’y avaient pas encore de bouchons et en moins d’une heure nous arrivions sur le parking en face du stade du Heysel.
Dans la matinée, les séries furent courues : trois séries de six athlètes. Les deux premiers de chaque série étaient sélectionnés
pour la finale.
D’antan le stade du Heysel n’avait que six couloirs. Pas encore synthétiques, la piste fut quand même une des meilleures piste cendrées du pays. (2)
On devait s’inscrire au moins 45 minutes avant l’épreuve et arriver au moins 15 minutes avant à la chambre d’appel. Si on arrivait
trop tard on était interdit de participer. Je devrais être très attentif car à ces moments-là je devais aller aux toilettes plus que
d’habitude.
L’échauffement se composait de courir relâché durant 15 minutes, quelques exercices de stretching et six fois des accélérations d’environ 60 mètres, qu’on appelait des ‘deboulés’. Tout cela sur une petite piste de 200 mètres, pleine d’athlètes en face du grand stade.
Les séries furent courues sans surprise. Je gagnai ma série avant Brassine, un athlète affilié au club La Forestoise.
Le midi nous allions au café qui se trouvait sur un coin en face du stade, où le tramway se dirigeait vers le terminus. Là, nous avons pu profiter de manger nos tartines avec une tasse d’ OXO chaude en toute tranquillité.
Le finish du champions' run de 1969.
L’après-midi était le temps des finales. Même échauffement que le matin, avec la différence qu’on pouvait observer de près ses concurrents directs. Garder la tête froide est un surplus, mais à l’intérieur on sent la tension qu’on doit contrôler.
Devant une tribune bien remplie, c’était alors le temps de la présentation des finalistes. Durant mon appel je fis un pas en avant et je saluai brièvement les supporteurs de La Gantoise, mon
club.
Le moment suprême arrive. Le starter appelle les athlètes à se préparer. Le buzz dans les tribunes s’éteint un peu. Le starter fait signe à un athlète qui n’a pas bien mis son pied derrière la
ligne de départ. On m’a attribué le troisième couloir, pas du tout néfaste.
Prêt ! Pang ! Et c’est parti.
Au premier virage les athlètes courent encore sur leurs couloirs et de l’autre côté de la piste tous venons ensemble. Personne ne veut prendre la tête, il n’y a plus de tempo et il n’y a certainement pas de best times. C’est le résultat qui compte.
Passant par la tribune j’entends crier mais je ne comprends rien, parce que je me concentre totalement sur la course.
Par contre, j’entends très bien la cloche qui sonne pour le dernier tour. Pas difficile : on passe juste à côté.
J’étais à la troisième position à l’intérieur de la piste. Le tempo accélère. Maintenant le Liégeois Delcourt vient à côté de moi. Il
contrôle la course, je suis coincé. Au début de ces derniers 200 mètres je me trouve encore dans une position perdue. Je ne peux pas courir vers l’extérieur. Le tempo s’accélère de plus en plus.
Je sens que je peux encore accélérer, mais où trouver le petit trou pour échapper.
Nous nous trouvons dans la dernière ligne droite. Entretemps Delcourt a pris quelques mètres d’avance. Vient le moment de trouver un passage libre et je continue à pleine vitesse. Je peux alors remonter Delcourt pour qu’il arrive deuxième. Le titre de champion est le mien.
En tant que gagnant on ne sent même pas la fatigue.
Fier, je monte sur le podium et on jouait la Brabançonne de la cérémonie protocolaire. Sur la plus haute marche du podium c’est le moment de se réjouir en recevant la médaille d’or des mains du président de l’association belge d’athlétisme.
(1) Le 23 septembre 1967. Grand tube en septembre 1967 : All you need is love (The Beatles).
(2) Première piste synthétique en 1968 au Mexique.
AvB - Photos : merci à Gilbert Thienpont - Correction : Monique.