Un vendredi soir à Philippeville - Pierre-Yves Dermagne
Mercredi 24 mai 2017
Si vous n’avez pas entendu parler de l’Habitat permanent, sachez que cette dénomination désigne la situation des quelque 12.000
Wallonnes et Wallons qui résident dans des endroits qui ne sont pas au départ formellement destinées à l’habitat, souvent des zones de loisir (majoritairement des campings) et parfois des zones
agricoles ou forestières. Y vivent toute l’année des résidents aux profils pluriels : une dame flamande qui venait ici en vacances et qui s’y plaisait tellement bien qu’elle a perdu l’habitude de
rentrer au plat pays ; un homme qui s’est séparé de son épouse et qui lui a laissé la maison pour que les enfants soient mieux ; un couple qui aime la vie au grand air et ne se reconnaît plus
dans la ville de plus en plus anonyme...
Avec mes (ex-)collègues parlementaires Philippe Dodrimont et Savine Moucheron, nous avons, pendant deux ans, mené une mission parlementaire sur le sujet, qui a abouti à la rédaction d’un rapport présenté la semaine passée au Gouvernement wallon.
Ce rapport contient une série de recommandations positives, respectueuses des faibles et de la différence, qui visent à donner un
cadre légal et digne à une population qui parfois, comme à Hastière, représente 25 % des habitants d’une commune.
J’avais commencé cette mission en considérant, “comme tout le monde”, que l’Habitat permanent peut se résumer, sociologiquement, aux
seules causes économiques qui “renvoient” un individu en difficulté financière vers un logement précaire.
Je me trompais. Il y a, parmi cette joyeuse troupe de « cabaniers », des robinsons romantiques, des adeptes de communauté de vie
chaleureuse et de solidarité vraie. Il y a, surtout, une majorité de citoyens qui ont volontairement choisi, et non subi, la vie en Habitat permanent.
“Dans notre camping, on s’aime et on s’entraide tous”, m’a dit cette dame. L’observation attentive du phénomène et l’écoute de ceux qui ont choisi “la nature” révèlent des tas de raisons affectives que je ne pressentais pas. Ils
adorent l’esprit de groupe, apprécient la solidarité des plus jeunes qui ramènent les courses, et ils savent qu’en cas de pépin, la caravane du voisin est proche et qu’ils ne seront jamais seuls,
jamais oubliés comme ces “abandonnés” qui meurent seuls dans la solitude de maisons où ils ne comptent pour personne.
Ils sont aussi fort proches de la nature, aimant de manière très sensorielle le contact des arbres, des prairies, le bruit le matin de
leur pas dans les épines de sapin.
Comme toujours en Belgique, on a d’abord fait semblant d’ignorer la situation, feignant de prendre pour des touristes ces vacanciers
qui restaient toujours en vacances. Puis on a culpabilisé, on a tenté des mesures coercitives pour sanctionner des situations que législateur et pouvoirs publics avaient acceptées de fait... et
laissé s’installer !
Modestement mais de manière volontariste, nous voulons avec ce rapport inverser cette logique destructrice.
Je m’attacherai, aujourd’hui Ministre, à ce que chacune des recommandations de notre rapport se traduise en actes
concrets.
Vendredi soir (le 19 mai, ndlr), j’étais à Philippeville, à la salle polyvalente du CPAS, pour présenter ce rapport aux résidents du
coin, où j’avais été chaleureusement accueilli et où je m’étais fait de vrais amis pendant la mission.
Devant 150 personnes vivant en Habitat permanent, devant les autorités communales, j’ai expliqué les recommandations du rapport et
répondu aux questions.
L’exercice était difficile, parce que le rythme du travail législatif (proposé) ne correspond évidemment pas au rythme espéré par les
résidents. Parce que le rapport doit embrasser des situations globales et constituer une “boîte à outils” qui ne répond pas forcément pile-poil aux questions de chacun. Cet échange fut pourtant
extrêmement riche, comme chaque étape de cette mission parlementaire.
J’ai la prétention de penser qu’avec mes deux collègues, nous avons “fait le job”. Nous sommes venus sans préjugés, nous avons écouté
sans pensée préconçue, nous avons analysé sans dogme... dans le seul souci de répondre à des angoisses et d’accompagner nos concitoyens.
Vendredi soir, il était presque minuit quand j’ai repris la voiture.
Je me suis dit que la politique était le plus beau métier du monde quand elle consiste à donner à chacun un toit, une existence digne,
une lueur d’espoir. Ce n’est qu’un premier pas, mais c’est souvent celui qui compte.