Abeilles : le pire n'est-il pas à venir ?

(28 janvier 2019)


La réalité est connue: des colonies d’abeilles disparaissent à un rythme soutenu depuis de nombreuses années et un peu partout dans le monde. Responsables désignés: les néonicotinoïdes, ces pesticides neurotoxiques prévus pour combattre les insectes nuisibles aux cultures. Ils sont efficaces, mais ils le sont indistinctement puisque les pollinisateurs, plutôt favorables aux mêmes cultures (notamment horticoles), sont eux aussi atteints. On pressent également un effet «rebond» sur le moyen, voire le long terme: puisque comme ces composés chlorés ou soufrés sont rémanents, ils persistent dans l’environnement où ils s’accumulent. Ils peuvent également être entraînés dans les nappes phréatiques, affecter des invertébrés au passage ou être captés par les racines de plantes sauvages à fleurs, qui sont butinées ensuite par les hyménoptères en général, et les abeilles en particulier. Celles-ci en reprennent donc, d’une certaine façon, une seconde dose !

 

Il va également de soi que dans la chaîne alimentaire, les prédateurs naturels des insectes et invertébrés puis ceux qui les consomment ensuite, concentrent les toxiques pouvant atteindre un seuil dommageable à leur niveau.

 

Une étude récemment publiée, menée entre 2012 et 2016 à ce propos, précise que quelle que soit la région du monde où ils ont été produits, 57 à 86% des miels – destinés aux humains – contiennent des traces au moins de ces neurotoxiques. Et il y a peu de chance que les choses changent, sauf évidemment si les concentrations du poison ont raison de toutes les abeilles. Du coup, il n’y aura plus de miel non plus; une façon radicale de régler le problème qui n’est tout de même pas celle attendue.

 

On sait que des dispositions relatives à l’utilisation des biocides en général ont été prises dans l’Union européenne et aux États-Unis en particulier. Mais ces produits efficaces sont, au même titre que les néonicotinoïdes, peu biodégradables et risquent donc de s’accumuler ou d’être présents au moins pendant longtemps encore. Ils peuvent aussi, dans de nombreux organismes, se trouver une synergie toxique avec d’autres produits dont notre environnement n’est pas avare. 

 

Bien au-delà du réchauffement climatique dont on fait une lutte écologique prioritaire, il serait – dans nos régions «industrielles» au moins – plus sage ou urgent de s’inquiéter d’abord de cette pollution-là, parfois massive, toxique et souvent cachée, dont on a peu de chances de pouvoir se libérer facilement. Question de choix politique: dans un cas, on peut se contenter de taxer les automobilistes qui émettent du CO2, dans l’autre on risque d’hypothéquer quelques productions agricoles à forte dimension économique. Le choix n’est-il donc pas posé d’avance ?

Science, 20147; 356: 38-39

Jean-Michel DEBRY



Article paru dans le mag scientifique Athena  n° 339 (novembre-décembre 2018). Reproduit avec permission.