1815-1830 : Comment changer de nationalité trois fois en 15 ans?

(publié:  Octobre 22, 2015)



Exit les Français.

 

1815 – mardi 20 juin vers 16 heures - Le feld-maréchal prussien Gebhart Leberecht von Blucher, prince de Wahlstatt, traversait la Sambre à Charleroi. Il chassait les français et dirigeait ses brigades vers les places-fortes, notamment Philippeville. Ce n’était que depuis deux jours que von Blucher, sous la commande générale du duc de Wellington, avait gagné la bataille de Waterloo (laquelle se déroulait en fait un peu plus au sud), et chassait le grand empereur français Napoléon Ier vers le sud. Quelqu’un de très important venait d’accompagner von Blucher: c’était Sa Majesté Royale le Prince Auguste de Prusse. Ils savaient que c’était le moment  de changer l’histoire en leur faveur. Pour cela il a fallu  23.700 morts et 65.400 blessés au total, pertes correspondant au quart des troupes engagées.

 

Blucher sous son cheval (par Matthew Dubourg (1813-20), Collection Stapleton - domaine public).


Ce même mardi 20 juin vers 16 heures Napoléon arrivait enfin en sécurité relative à Laon en territoire français, pour atteindre Paris plus tard.

Deux jours avant, le dimanche 18, l’empereur devait s’enfuir et abandonner le champ de bataille de Waterloo.

Le jour précédent, le lundi 19, entre 9 et 10 heures, il arrivait à Philippeville avec quelques fidèles (1):  “Sous un chapeau aux agrafes arrachées, son visage était d’une pâleur de cire, les traits figés, le regard sans vie. Il portait la redingote grise de drap léger, sorte de cache-poussière, qu’il n’avait pas quittée depuis quatre jours, et des bottes couvertes de boue” (2). On peut bien imaginer que la panique règnait à Philippeville, mais aussi dans les villages voisins. Le sud d’entre-Sambre-et-Meuse connaissait depuis le traité des Pyrénées de 1659, une paix rélative sous le pouvoir français. Tout le monde le sentait: tout changerait!

À Philippeville, Napoléon se reposa  pour quelques heures. Il fut accueilli par Monsieur Vessié, un ancien officier de l’empereur,  pensionné après blessure, qui gérait l’ hôtel Le Lion d’Or  ( l’actuel restaurant chinois au Place d’Armes). Vessié le mit “dans leur meilleure chambre, la n° 4, une grande pièce nue à l’étage, dont les fenêtres s’ouvraient sur la place d’Armes et la rue de la Roche et dont l’unique mobilier consistait en une table ronde, quelques chaises de paille et un lit rustique dressé dans un coin. La servante, une demoiselle Gilliard, s’empressa  à servir le déjeuner frugal: du pain, du beurre, des œufs à la coque.” (3)

“C’était son premier instant de détente depuis la catastrophe de la veille. Il semblait terrassé. Sa voix était haletante, il respirait péniblement, la poitrine oppressée. Cet homme de 46 ans, à moitié malade, n’avait  pas pris vingt heures de repos au cours des quatre jours précédents, il était  resté trente-sept heures à cheval et, sans nourriture depuis un jour entier, il venait  de faire une étape de nuit de 60 km.” (4)


Ancienne carte postale - à gauche: Le Lion d'Or (collection privée J.M.)


Avant de partir l’Empereur donna ses ordres pour “réengager des troupes en France, remobiliser les places fortes frontalières et, surtout, organiser la confrontation avec les députés, à Paris! (5)” À Philippeville c’était le général Casergue qui devait contourner les Prussiens avec “cinquante et un canons et mille sept cents hommes dont deux cents artilleurs y compris cent bourgeois. Il lui a fallu cinquante-neuf pièces et trois mille hommes pour opposer une défense efficace” (6).

Un mois plus tard, le 22 juillet, l’investissement complet de Philippeville était réalisé avec une force militaire éclatante. Les villages avoisinants, comme Neuville, voyaient des parties de l’armée prussienne s’installer.

Après des bombardements du 8 aoùt “l’ennemi (note: les Français), ne fut plus capable de maîtriser les incendies provoqués par les bombes : à 4 heures la grande caserne … était en flammes et le feu se propageait aux maisons avoisinantes”(7). Il s’agit de la rue actuellement dénomée : Rue du Quartier Brûlé, situé entre la Rue de France et la Rue du Moulin. En plus: “Chez l’ennemi plusieurs pièces étaient hors d’état et un certain nombre de militaires et de civils avaient été tués” (8).

Après des tirs, entre autres, 1522 bombes et 270 obus, vers “sept heures du soir, un officier français parut en qualité de parlementaire devant la porte de France. Le résultat de son entrevue avec le prince Auguste fut une capitulation” (9). Le lendemain “la garnison de Philippeville défila par la porte de France et déposa les armes … L’armée de siège entra ensuite dans la forteresse… Un officier du nom de Reizenstein, … prit le commandement de la place” (10).


Le jeune Napoléon (portrait de Henri Félix Emmanuel Philippoteaux (1815–1884) - domaine public)


Le Congrès de Vienne


Vint le temps pour redéterminer les frontières et les pouvoirs des monarchies. Durant le Congrès de Vienne en 1814 les grands d’Europe, moins ceux de la France, avaient décidé, entre autres, que la Belgique, et donc aussi le sud de l’entre Sambre-et-Meuse, soient intégrés aux Provinces-Unies pour former le Royaume Uni des Pays-Bas, sous le roi Guillaume Ier des Pays-Bas, un des glorieux vainqueurs de la Bataille de Waterloo.

En conséquence, en 1815, Philippeville et les villages avoisinants,  dont Neuville, devinrent hollandais. Le 24 décembre 1815, une garnison du royaume des Pays-Bas occupa la forteresse de Philippeville (11).


Exit les Hollandais.


Le “Printemps des peuples” ou encore “Printemps des révolutions” était une conséquence directe du Congrès de Vienne. “En effet, les vainqueurs de Napoléon Bonaparte furent tentés d'agrandir le territoire des empires, au détriment des aspirations nationales de l'époque” (12) “Dès 1830, Paris s'active… Quand le peuple français fait une révolution, il est suivi. La Pologne, la Belgique, l'Allemagne et l'Italie vont se révolter. Il y a une volonté d'unité nationale chez les trois derniers, d'indépendance chez les premiers.” (13).

“En 1830, la Belgique se souleva. Peuplée surtout de catholiques, elle supportait mal le règne du protestant Guillaume Ier, mais aussi sa politique d'imposition de la langue néerlandaise comme seule langue officielle. C'est la révolution belge de 1830 qui aboutit à la création du nouveau royaume de Belgique. “ (14)

“Le 30 septembre 1830, les habitants de Philippeville forcèrent les troupes hollandaises qui l’occupaient à mettre bas les armes, et le même jour, l’autorité urbaine envoya son adhésion au gouvernement provisoire qui venait de se constituer à Bruxelles.” (15)


Et voilà qu’en 15 ans, les neuvillois furent d’abord Français, puis Hollandais et enfin Belges!


JoMa



(1) Archéophil n° 5 – Siège de Philippeville en 1815, Franz Fiévet (traduction).

(2) Bulletin belge des Sciences militaires, 1935.

(3) idem

(4) idem

(5) L’Avenir, vendredi 19 juin 2015, Patrick Lemaire.

(6) Notice Historique sur Philippeville, Alb. de Robaulx de Soumoy, Bruxelles 1982, p. 272.

(7) Archéophil n° 5 – Siège de Philippeville en 1815, Franz Fiévet (traduction).

(8) idem

(9) Notice Historique sur Philippeville, Alb. de Robaulx de Soumoy, Bruxelles 1982, p. 275.

(10) idem.

(11) idem, p. 277.

(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Printemps_des_peuples

(13) idem

(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/Pays-Bas

(15) Notice Historique sur Philippeville, Alb. de Robaulx de Soumoy, Bruxelles 1982, p. 278.